Etude de Faisabilité d’un dirigeable martien par des étudiants en Master de l’EPFL
Le 31 août 2020 je proposais à Jean-Paul Kneib, directeur de l’EPFL Space Center (eSpace) de faire étudier par des étudiants de niveau Master, la faisabilité d’un dirigeable martien (voir note jointe).
A la suite de cette proposition, nous avons eu une suite de quatre générations d’étudiants qui ont travaillé sur le sujet :
Roméo Tonasso, en 2020/21
Michael Biselx, Florentin Fellay, Vincent Röggli, en 2021/2022
Guillaume Del Pedro, Philippe Macheret, en 2022/2023
Kelly Touzeau, Lina Kuhlmann, Koki Kimura, en 2023/2024
Vous trouverez leurs rapports de fin d’étude dans cette rubrique, « Dirigeable ».
Ces études ont été supervisées par moi-même, Pierre Brisson et par Claude Nicollier.
Pendant les deux premières années deux jeunes ingénieures, représentantes de l’association WoMars, Laurène Delsupexhe et Alice Barthes, ont apporté leurs concours aux étudiants ; Laurène a continué pour l’année 3. Laurène est “Junior Professional in Advanced Fluid Dynamics and Propulsion Engineering à l’Agence Spatiale Européenne”; Alice est “PhD candidate in Quantum Computing and Aerospace Engineer specialised in Applied Mathematics”. L’objet de Womars est: “To Promote the representation of women in the human space exploration field”.
Tous les étudiants impliqués dans ce projet ont obtenu d’excellentes notes pour le travail réalisé.
Chaque année s’est conclue par une présentation dans un grand rassemblement scientifique et ingénieurial : GLEX 2021 (Saint Petersbourg), IAC 2022 (Paris), l’AEC 2023 (Lausanne), IAC 2024 (Milan).
L’étude a été poussée assez loin mais la réflexion reste ouverte et on peut toujours progresser. Par ailleurs le cadre technologique évolue toujours. Après lecture des documents joints les étudiants intéressés pourront voir des points qui méritent encore d’être approfondis ou retravaillés en fonction des avancées dans divers domaines. Nous attendons leurs propositions.
Note présentée à la direction d'eSpace ayant déclenché l'étude de faisabilité :
Depuis 2020, suivant la suggestion de Pierre Brisson, président de l’association, des étudiants de niveau Master de l’EPFL travaillent sur la faisabilité d’un dirigeable robotique martien, un sujet difficile entre tous mais passionnant.
Le sujet est difficile car la densité de l’atmosphère de Mars, de 615 pascals de pression au sol à l’altitude moyenne (celle du « datum », équivalent à notre niveau de la mer), ne peut offrir que peu de différence exploitable avec une enveloppe gonflée au gaz le plus léger possible, l’hydrogène.
Le sujet est passionnant, justement à cause de ces difficultés et aussi pour l’utilité qu’il présente : la possibilité d’explorer à faible vitesse et pendant une longue durée les traits de relief les plus inaccessibles, murs, pentes fortes et reliefs les plus accidentés de la planète Mars, à l’approche desquels nul véhicule terrestre ne pourra s’aventurer avant très longtemps.
Dans cette rubrique vous allez pouvoir suivre la progression de l’étude que supervisent Pierre Brisson et Claude Nicollier, maintenant pour la quatrième année consécutives, avec la collaboration pendant les deux premières années de deux jeunes femmes ingénieures de grande qualité, spécialistes en Aérospatiale et membres de WoMars, Alice Barthe et Laurène Delsupexhe.
Comme vous le verrez à la lecture de ces documents, année après année, la réflexion et le travail permettent d’affiner les concepts, d’évaluer leur pertinence, éventuellement de les faire évoluer ou de les abandonner pour d’autres. Les idées préconçues ne sont pas toujours (ou souvent ?) les meilleures !
Un véhicule volant « allégé » par la force d’Archimède pour explorer la surface de Mars
A. Un besoin qui part des constatations suivantes :
1) Difficulté de progression en surface de la planète du fait des obstacles naturels (pierres coupantes, rochers plus ou moins volumineux, escarpements, falaises, pentes fortes, sables mouvants) ;
2) Impossibilité d’accéder, en cas de terrain difficile, à des sites intéressants aperçus à distance;
3) Risque de « passer à côté » sans les voir de sites intéressants et vitesse de progression lente avec un choix de parcours difficile, en raison d’un horizon en surface souvent limité, couplé à une précision toujours insuffisante des satellites ;
4) Difficulté de l’observation latérale à partir des satellites pour examiner les nombreux « murs » naturels martiens (flancs de cratères, falaises des rifts, bords des vallées). Ces murs sont potentiellement riches d’enseignements planétologiques par leurs strates et par les écoulements qui y ont laissé des traces. L’observation pourrait également révéler l’ouverture de grottes qui donneraient accès à des endroits protégés, possibles refuges d’une forme de vie martienne ou abris de futures implantations humaines.
5) Intérêt de pouvoir se poser et repartir n’importe où à la surface de la planète, pour collecter des échantillons ou déposer un instrument.
Il faut donc pouvoir explorer Mars depuis l’atmosphère, à très faible altitude, se poser et repartir.
B. La sustentation aérodynamique seule n’est pas la solution :
1) Faible pression atmosphérique (611 pascals en moyenne, 70 Pa au sommet du Mont Olympus et 1155 Pa au fond du bassin d’Hellas), avec variations importantes sur 24 heures (-80°C la nuit à l’équateur).
2) De ce fait, problème de stabilité des plus lourds que l’air lors des changements de direction.
3) De ce fait, vitesse horizontale nécessairement très élevée pour générer une portance aérodynamique ; égale à 5,5 fois la vitesse sur Terre (en prenant en compte la gravité et la masse volumique de l’air martien). L’absence de pistes pour décoller et atterrir désavantage les véhicules utilisant cette portance. Le système quadshot peut y remédier mais le problème énergétique reste entier (voir ci-dessous).
5) Energie rare et d’approvisionnement difficile, sauf énergie solaire (en excluant les nuits, les hautes latitudes en hiver et les périodes de tempêtes de poussière) ; la réserve d’ergols représente un volume et une masse importants et implique des vols de courte durée.
C. La portance aérostatique doit faire partie de la solution :
1) Les véhicules à décollage vertical (hélicoptère, quadshot) utilisant exclusivement la propulsion et la portance aérodynamique offrent des avantages certains mais limités (temps et distance) du fait des besoins en ergols et de leur masse qu’il faut transporter.
2) Les véhicules utilisant la portance aérostatique (volumes fermés emplis d’hélium, d’hydrogène ou alternativement, de gaz carbonique chauffé) n’ont pas ce désavantage mais ont une capacité d’emport limité compte tenu de la très faible densité de l’atmosphère martienne.
3) Cette faiblesse pourrait être compensée par la combinaison d’une portance aérostatique avec une portance aérodynamique générée par une propulsion horizontale, même faible : décollage à la verticale, par portance aérostatique éventuellement assistée (système « quadshot » ou « Mars gashopper » ? – concept Robert Zubrin) puis déplacement horizontal, « dirigé », par propulsion générant une portance aérodynamique.
B. Contraintes :
1) Nécessité d’embarquer un minimum de masse : enveloppe de l’aéronef + structure + système de direction + système de communication + moteur + système d’ancrage au sol + comburant/carburant ou système de captation d’énergie solaire + équipements d’observation (« payload ») : caméra(s), spectrographe(s), laser(s), radar(s), système de stockage de données + éventuellement, capacité à collecter puis transporter des échantillons. NB : la gravité réduite (0,38g) permet d’emporter des instruments d’un poids évidemment plus élevé sur Terre et la densité de l’atmosphère de CO2 est de 1,53 de celle de l’atmosphère terrestre.
2) Nécessité d’utiliser les matériaux les plus légers possible pour réaliser l’aéronef (enveloppe et éventuelle structure porteuse) et les équipements embarqués. Dans le même esprit, nécessité de rechercher la miniaturisation des équipements ;
3) Nécessité d’utiliser des matériaux résistants pour limiter les risques de déchirure de l’enveloppe porteuse et les risques de rupture ou déformation de la structure en cas d’échouage, volontaire ou non.
4) Nécessité de concevoir un volume gonflable portable d’une taille compatible avec (a) son transport depuis la Terre et les conditions de déploiements dans un environnement difficile, (b) les risques de prise au vent, même si l’atmosphère est peu dense ;
5) Nécessité de concevoir une étrave aérodynamique, pour limiter la prise au vent et faciliter la direction.
6) privilégier le gonflage à l’hydrogène (moins rare que l’hélium et beaucoup plus léger que le CO2 de l’atmosphère). On ne risque pas son inflammation dans l’air (absence d’oxygène) et on peut le trouver facilement sur Mars (sous-produit de l’électrolyse de l’eau pour obtenir de l’oxygène).
7) Utiliser l’énergie solaire pour la propulsion et le fonctionnement des équipements (film photovoltaïque recouvrant l’intérieur du volume porteur avec lumière parvenant au travers d’une section transparente de l’enveloppe ; concentration par un miroir à l’intérieur du ballon cf. StratoBus de Thalès Alenia Space). NB : l’irradiance au niveau de l’orbite martienne égale environ la moitié de l’irradiance au niveau de l’orbite terrestre, avec de fortes variations saisonnières (de 490 à 715 Watt/m2 ) ;
8) Utiliser éventuellement l’énergie nucléaire (générateurs isotopiques -RTG-) miniaturisés : désintégration de matériau radioactif, par exemple plutonium 238 (ou américium 241 ? cf recherche Breakthrough Starshot) pour alimenter les équipements nécessaires au fonctionnement des équipements d’observation.
9) Adapter l’architecture du dirigeable au potentiel des vents (cf concept Zep’lin de Renault) : volume porteur en forme de voile, ailes pour accentuer la capacité de portance aérodynamique.
D. L’objectif de l’étude serait :
1) Déterminer la masse que pourrait soulever un dirigeable martien de taille raisonnable, c’est à dire transportable en masse et volume, dégonflé, dans un vaisseau spatial depuis la Terre tel que le BFR ou le SLS Block 2 Cargo de la NASA (130 tonnes en LEO, coiffe de 10 mètres de diamètre sur 31 mètres de haut, volume utile 1800 m3 ), en fonction de la vitesse de déplacement horizontale qu’on pourrait lui impulser (évaluation de la vitesse minimale nécessaire à la portance).
2) En fonction de cette masse, voir quels instruments pourraient être embarqués (caméras, spectrographes, radars, éventuellement un mini rover) au-delà des équipements nécessaires au fonctionnement du dirigeable et à la communication avec celui-ci.
2 bis) En fonction de la masse disponible, envisager que le ballon puisse éventuellement se poser puis repartir. Cela permettrait de libérer au sol de petits robots capables d’effectuer des prélèvements ou de continuer des observations, au sol ou en sous-sol (forages ou exploration de grottes). Possibilité d’utiliser la chute de la température la nuit pour se poser (refroidissement du gaz porteur).
Idéalement, le dirigeable serait contrôlé en temps réel à partir d’une station habitée à la surface de la planète. Une mission commandée depuis la Terre serait évidemment plus difficile à concevoir du fait du « time-lag » de 3 à 23 minutes résultant de la distance-lumière entre les planètes. Elle suppose beaucoup plus d’autonomie du véhicule pour, notamment, éviter les obstacles mais elle n’est pas impossible. Une programmation du gouvernail et du moteur sous contrôle d’un radar embarqué, serait nécessaire.
Liens:
Airborn ecocraft : https://www.yankodesign.com/2012/02/10/airborn-ecocraft/
ATO, http://www.jpaerospace.com/atohandout.pdf
Breakthrough Starshot : https://breakthroughinitiatives.org/Initiative/3