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Les missions habitées

Sur le plan astronautique les missions robotiques sont devenues presque routine, que ce soit pour descendre sur Mars un laboratoire fixe ou mobile, ou pour placer un satellite sur orbite. Pour ce qui est des vols habités, c’est une autre histoire mais Elon Musk nous permet d’espérer.
En fait le problème est avant tout un problème de masse. De nombreux lanceurs construits dans le monde sont aujourd’hui capables d’envoyer quelques kilogrammes en orbite martienne ou en surface de Mars. Une fois placé en orbite, faire fonctionner un satellite (un « orbiteur » comme on dit) apparaît relativement facile, contrôler une « EDL » (pour « Entry, Descent, Landing ») jusqu’à la surface de Mars est nettement plus délicat. Jusqu’à présent seuls les Américains et récemment les Chinois y sont parvenus et pour une masse maximum d’une tonne (Curiosity), beaucoup moins pour les Chinois. C’est bien pour une mission robotique ; c’est insuffisant pour une mission habitée. Dans son architecture « Mars Direct », qui date des années 1990, Robert Zubrin a calculé qu’il faudrait pouvoir descendre en surface au moins une quarantaine de tonnes, ou plutôt deux fois 20 tonnes (une première mission, robotique, pour préparer la seconde, habitée, notamment en produisant l’énergie nécessaire au retour, par utilisation des ressources locales).
Ces contraintes impliquent (1) de pouvoir extraire du puit de gravité terrestre et jusqu’à une orbite basse terrestre (« LEO »), environ 130 tonnes (comprenant les 20 tonnes à descendre) et (2) de disposer des moyens de freiner suffisamment la masse à descendre en surface. On a su faire des lanceurs lourds pouvant placer 130 tonnes en LEO (Saturn V du programme Apollo), on sait moins descendre les 20 tonnes en surface. Jusqu’à présent la solution était d’utiliser un mixte de dispositifs variés pour le freinage : bouclier thermique (éventuellement gonflable pour lui donner une plus grande surface), parachute, ballute, airbag ou rétrofusée pour les derniers mètres, afin d’utiliser au maximum les avantages de Mars c’est-à-dire la présence d’une atmosphère.
Avec sa technique de récupération / réutilisation développée sur ses Falcon-9 et sur Falcon-Heavy, et bien sûr en cours de développement sur son Starship, Elon Musk a changé tout cela. Désormais, avec le Starship, on peut envisager sérieusement la descente par rétropropulsion d’une centaine de tonnes au travers de toute l’atmosphère de Mars (un peu plus d’une centaine de km d’épaisseur). Et on peut envisager ce mode de descente freinée parce qu’Elon Musk a eu l’audace de concevoir (1) la mise en service d’un énorme vaisseau (le Starship peut placer 150 tonnes en LEO) ; (2) le réapprovisionnement en carburant / comburant du second étage du lanceur en orbite, avant l’injection trans-martienne, de telle sorte que les réservoirs soient à nouveau pleins après la consommation énorme nécessitée par la mise en LEO (95% du total des ergols emporté de la surface terrestre) ; (3) la descente par rétropropulsion maitrisée selon le même principe que celui développé et démontré par le retour sur Terre des premiers étages des lanceurs Falcon, puis du Falcon Heavy et enfin du Starship (SuperHeavy) après qu’ils aient effectué leur mission. Bien sûr le Starship n’a pas encore effectué sa « preuve » orbitale mais les tests effectués pour l’atteindre sont très encourageants.
Bien entendu pour un voyage de cette durée (six mois de voyage pour aller, six pour revenir et 18 mois sur place compte tenu de l’évolution de la position des planètes l’une par rapport à l’autre) le lanceur n’est pas tout. Un élément très important est le support vie. Un autre est la protection contre les radiations spatiales.
Pour le support vie, des techniques d’ECLSS (Environment Control & Life Support System) sont étudiées et expérimentées depuis des années, notamment MELiSSA (Micro Ecological Life Support System Alternative) ou ESTEE (Earth Space Technical Ecosystem Enterprises). Cela implique le recyclage des gaz, des liquides et des solides mais aussi le contrôle des microbiotes à l’intérieur du microbiome relativement petit (pas d’effet tampon !) que constituent un vaisseau spatial ou une base sur Mars. On peut dire que c’est difficile (un spécialiste italien, le Professeur Alberto Bemporad, a comparé le contrôle du microbiome au pilotage d’une voiture de course !). Mais des progrès importants ont été faits qui limitent pour des quantités importantes, les masses à emporter avec soi, avec l’avantage supplémentaire que sur Mars on pourra utiliser l’eau locale et des éléments chimiques locaux qu’on pourra combiner (moyennant de l’énergie fournie par quelques petits réacteurs à fission nucléaire) pour obtenir des produits nécessaires à la purification, à la stabilisation de l’environnement ou à la production d’aliments sous serres.
La protection contre les radiations est un sujet difficile. On peut se protéger des orages, SPE (pour Solar Particle Event), de particules solaires, SeP (Solar energtic Particles) car ce sont des protons et que les réserves d’eau et de nourriture, riches en eau, en contiennent beaucoup (hydrogène). Lorsqu’un de ces SPE surviendra, les voyageurs pourront s’abriter dans des caissons entourés de leurs réserves d’eau et cela freinera suffisamment les protons. Il n’en est pas de même pour les radiations galactiques (GCR) constituées de noyaux d’atomes de masse atomique élevée (HZE). Elles sont peu abondantes mais traversent tout. Il n’y a rien à faire sauf à aller d’un endroit abrité (la Terre) à un autre (Mars) aussi vite que possible. En temps de croisière normal, quand il n’y a pas de SPE, un gilet de type « AstroRad (société StemRad) sera adéquat pour contrer le flux normal de protons. Une fois sur Mars le danger n’est pas du tout le même puisque le niveau des radiations reçues est équivalent à celui qui a été constaté dans l’ISS et qu’en plus on peut se protéger (par la matière martienne). Personne ne souhaite être irradié et les doses doivent être aussi basses que possible (ALARA). Si l’on veut ne prendre qu’une dose de radiations cumulées « acceptable », un voyage de six mois sera supportable, quatre voyages de six mois probablement pas. Il faudra donc raccourcir au maximum la durée du voyage, mais ce sera au détriment de la masse utile (payload) transportée. Elon Musk envisage de descendre de six à quatre mois la durée du transport des hommes tandis que les vaisseaux cargos pourront « prendre leur temps » (entre 7 et 9 mois).
Vous aurez remarqué que je ne parle ni de l’ESA ni de la NASA. La raison en est (1) que l’ESA n’a pas les moyens et n’est pas intéressée par les vols habités dans l’espace profond (pour moi aller sur la Lune n’est pas « voyager dans l’espace profond ») et (2) que la NASA a pris du retard en technologie astronautique par rapport à Space-X et ne parvient pas à mettre au point son lanceur lourd propre, le SLS (Space launch System). C’est en 2006 que le concept a été lancé (l’Ares du programme Constellation) alors que le concept de Falcon Heavy n’a été annoncé qu’en 2011 et qu’aujourd’hui il existe et vole et que le Starship est en cours de finalisation ! Reste les concurrents : (1) le New Glenn de Blue Origin (Jeff Bezos) mais sa capacité d’emport est beaucoup plus faible (45 tonnes) et il ne vise pas la planète Mars mais la Lune ; (2) les Chinois avec leur lanceur CZ-9 (Longue Marche 9). Sur le projet Mars de ces derniers on ne sait pas grand-chose sauf que le CZ-9 n’est pas encore au point et que le CZ-5 ne serait pas suffisant pour une mission habitée sur Mars.
Je parie que ce sera donc Elon Musk qui posera la première fusée habitée sur Mars. Maintenant, l’économie d’échelle étant le moyen de faire baisser le coût des voyages pour les rendre acceptables sur le plan financier, toute diversification d’objectif consommatrice de lanceurs lourds (la Lune par exemple, après la diffusion des relais de la constellation Starlink) sera la bienvenue…pourvu qu’elle n’occulte pas et ne fasse pas oublier l’objectif Mars !